Hatfields and McCoys – minisérie History

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This is about honor, about lying, stealing and murdering.

L’histoire commence en 1863, au cœur des tranchées d’une obscure bataille de la guerre de Sécession, cette première guerre dite “moderne”, et qui servira de modèle pour les suivantes: usage des nouvelles technologies industrielles (mitrailleuses, cuirassés et sous-marins, transports des troupes et du matériel par chemin de fer), et mobilisation d’envergure nationale autour d’un conflit total. Sur le terrain, les cartes d’état-major se découpent en petites parcelles, celles à tenir et celles à conquérir; on avance tant que l’on peut dans cette brume boueuse de poudre à canon, jusqu’à déloger l’adversaire et le faire reculer, jusqu’à prendre un petit morceau de colline et s’y terrer, en attendant la contre-attaque: c’est une véritable guerre d’usure, pour les soldats coincés dans cet enfer, comme pour leurs dirigeants qui s’évertuent à repousser quelques frontières mouvantes tracées puis effacées à coups de crayons tendres. “Devil” Anse Hatfield et Randall McCoy, voisins et amis, ont rejoint les rangs confédérés et luttent ensemble contre l’envahisseur du Nord. Lors d’une ultime bataille, alors qu’il  parvient par un acte héroïque à sauver sa compagnie, Hatfield décide de déserter une guerre qu’il juge perdue d’avance, et s’en retourne auprès de sa famille. McCoy, témoin de la fuite de son ami, sera bientôt fait prisonnier et croupira quelques temps dans un fort militaire, avant de pouvoir rentrer chez lui, complètement démoli. La guerre est maintenant terminée, les états de l’Union sont à nouveau unis. Mais dans cette petite région des Appalaches où les héros se retrouvent, étroite vallée boisée de la Tug Fork River qui trace les contours de la Virginie-Occidentale à l’est et du Kentucky à l’ouest, la tension monte entre les deux familles. La rancœur de Randall McCoy envers celui qui l’a abandonné laisse bientôt place à la haine, le jour où l’oncle de Anse Hatfield abat le frère de McCoy, au prétexte que ce dernier portait l’uniforme des nordistes pendant la guerre civile. Les membres de chaque clan se réunissent sous l’égide de leur patriarche, et ce qui avait débuté comme une querelle entre deux hommes se transforme peu à peu en véritable conflit, qui embrasera le pays pendant presque 30 ans.

 

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Meurtres et pendaisons sommairement exécutés, raids vengeurs,  avocats véreux et chasseurs de primes engagés pour faire le sale boulot, tous les moyens sont bons pour mettre à terre son adversaire. Et finalement ce sont seulement ces moyens, et leurs résultats désastreux, qui alimentent et amplifient le drame d’une simple dispute. De “Devil” Anse Hatfield ou de Randall McCoy, aucun n’est meilleur homme que l’autre, il ne servira à rien pour le spectateur de choisir un parti. La trame scénaristique va d’ailleurs en ce sens de l’égalité des forces et des faiblesses, en proposant une vision égale des deux camps, et rapprochant les différences pour qu’elles aient le même poids, la même portée. Les Hatfield occupent un territoire situé dans les collines de Virginie-Occidentale, et revendent le produit du déboisage de leurs forêts. “Devil” Anse est père d’une famille nombreuse, et les plus grands de ses garçons travaillent déjà pour lui. Il est aussi entouré de ses frères et d’un oncle, qui tous lui reconnaissent la légitimité d’occuper la place de patriarche. De l’autre côté de la rivière qui se trouve au fond de la vallée, nous pénétrons dans le Kentucky, et sur les terres de Randall McCoy. Celui-ci est agriculteur, possède quelques arpents qu’il travaille durement. Il a beaucoup d’enfants lui aussi, plusieurs garçons et filles adultes, ainsi que quelques nièces et cousins qui vivent dans la région. Il est lui aussi le chef incontesté de son clan. Alors que McCoy se rattache à un dieu qu’il invoque constamment pour se venger, Hatfield lui semble se rattacher plus stoïquement à la simple fatalité de la vie. D’une fois que l’on a découvert que les deux faces de la pièce sont les mêmes malgré des peintures différentes, on ne pourra que suivre le récit et la montée en puissance de la violence qu’il contient. Seul un élément vient contrebalancer cette construction: l’histoire d’amour entre Johnse Hatfield et Roseanna McCoy, qui amène, dans toute sa naïveté propre à deux jeunes Roméo et Juliette mâtinés Western, une touche différente de sensibilité, avant que tout ne sombre dans le drame qui occupe la scène entière. On ne cherchera plus à comprendre la genèse de la querelle, qui est pourtant très importante car elle repose énormément sur les séquelles que la guerre de Sécession a laissée sur les communautés du Sud, soit l’impact de la défaite. On avancera dans la série en attendant d’en connaitre le dénouement, tout en sachant qu’il n’y a aucun espoir pour que cela se termine bien; trop de sang versé,  trop de haine dans la destinée de ces deux familles, et personne ne peut plus revenir en arrière.

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(Les Hatfield de la série History / Les véritables Hatfield, années 1890)

En regard d’un scénario qui se révèle parfois fragile, car trop enclin à nous montrer son ambivalence intrinsèque et finalement peu complexe, c’est surtout dans le soin amené aux décors, aux costumes, à l’ambiance générale, que la série prend pleinement son essor, et exauce toutes ses promesses. S’il a fallut se rendre jusqu’en Transylvanie pour reconstituer cette partie des Appalaches, question budget j’imagine, on s’y croirait vraiment, les paysages sont de toute beauté, et les saisons défilent à la manières de superbes peintures. Chaque plan est comme une photographie d’époque explosée de couleurs et de teintes. Il en va de même pour les personnages, aux vêtements refaits d’après les photos d’époque. Les tissus lourds et les velours grossièrement côtelés, la démarche pesante qui les accompagne, les vestes en peau brute et les vieux chapeaux défoncés. Les bottes sales, les ongles noirs, barbes jaunes de glaviots et fusils rutilants; tout y est absolument, vous regardez ça et vous y êtes. La qualité du casting est aussi à saluer: Kevin Costner, connu pour ne jamais en faire trop avec les expressions, y trouve un personnage en or avec cette composition de patriarche bourru; Paxton est magnifique jusque dans l’expression de la vieillesse courbaturée; et puis chaque second rôle sonne parfaitement juste, le dosage est parfait, c’est comme si les vieux clichés parlaient et se mouvaient devant nous. Ces vieux clichés, ce sont justement ce que nous retrouvons par après sur le net, de ceux qui nous disent que Hatfields & McCoys est tiré d’une histoire vraie; que ces types, au-delà d’une histoire fictionnelle et simplifiée pour en faire 3 épisodes de 90 minutes, ont vraiment existé, et se sont vraiment battus sur leurs maigres terres. L’histoire semble être connue aux États-Unis, et faire partie du folklore; on peut trouver des restaurants, des parcs d’attractions qui portent leurs noms, on les a même vus dans des cartoons, symboles de ces premiers Hillbillies, paysans des montagnes regroupés en fratries qui passent leur temps à se battre avec leurs voisins. En tout cas pour ma part j’ai fait une très belle découverte avec cette série. Et ce qui m’a plu particulièrement, c’est ce petit fantasme que j’ai et qui s’est réalisé ici, c’est que j’ai pu voir des vieilles photographies s’animer, que j’ai pu entrer dans le cadre et voir ce qui s’y trouvait derrière, ce qui s’y trouvait caché. Essayez avec cette série, vous ne regrettez certainement pas le voyage. C’est infiniment beau, et brut à la fois, une vraie petite splendeur comme on les aime.

“Hatfields & McCoys” (2012)

minisérie 3 x 90 min. / History Channel

En DVD

Kentucky straight, de Chris Offutt

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Le pays que personne ne visite

Il faudra un peu plus qu’une gourde d’eau pour aborder les hills où l’auteur nous convie, à travers ce remarquable recueil de nouvelles. Il faudra sortir la bouteille de bourbon sec , et s’imprégner lentement de l’atmosphère, afin de véritablement sentir et goûter la terre, en ces collines écrasées par un ciel si lourd, où tout semble faire barrage et retenir l’âme. Nous sommes bientôt prisonniers du lieu, et nous pouvons chercher longtemps sur la carte sans jamais trouver de repères. Le bourg de Rocksalt est si petit qu’il ne s’y trouve pas; les crêtes qui pointent aux alentours portent pour certaines des noms que seuls les autochtones connaissent: Bobcat Hollow, Shawnee Rock, et les goulets ou les rivières ne sont jamais nommés. Et puis il y a Lex quelque part; Lexington, la capitale de l’état, mais c’est si loin que l’on n’y va jamais. Bienvenue dans le pays que personne ne visite, bienvenue dans les montagnes appalachiennes du Kentucky.

“Vous pouvez pas en vouloir aux montagnes pour ce qui se passe dedans. Y en a qui s’en prennent à Dieu, mais je pense pas qu’il se fasse beaucoup de mouron pour ce qui arrive par ici.

Nous nous retrouvons au sein d’une petite communauté de mineurs établis dans le village de Rocksalt ou aux abords, dans des bicoques et des cabanes. Ceux qui ne travaillent plus survivent en cultivant des terrains pauvres, en chassant le menu gibier, ou en établissant des petits trafics de marijuana. Ici on quitte l’école au primaire et puis on se débrouille; aucun des programmes d’aide au développement de l’état n’est d’ailleurs pris en compte par ces gens autant fiers que conscients de ce qu’est la fatalité. Aucun espoir de s’en aller, et de toute manière, pour aller où? Vu de ces montagnes, le monde parait s’effondrer au delà des dernières crêtes; l’ailleurs n’existe même pas. Si quelques rares éléments, tels des pick-up ou des transistors, proposent de situer l’époque dans la seconde moitié du vingtième siècle, nous pourrions aussi bien imaginer y voir le temps des colons, celui de la communauté originelle, tant le sentiment d’isolement y est ressenti, ainsi que cette sécheresse et cette violence latente d’avant l’ère du vernis de la civilisation. Ici donc on fait son whisky de contrebande, on flingue un clébard qui n’est plus bon à la chasse, on laisse sa sœur se vendre à tous car elle n’est bonne qu’à ça, on peut tuer aussi pour un peu d’argent perdu au poker. Les femmes tiennent de petits rôles; elles sont surtout employées à tenir le foyer, et n’auront pas grand chose à dire, si ce n’est, à l’image du personnage de Beth rencontré dans une nouvelle, qu’elles peuvent parfois apporter un peu de sécurité et de sérénité face à la tension constamment ressentie. Le spirituel, qui serait aussi un moyen d’évasion, est le prétexte à ouvrir le champ sur l’idée d’une terre de superstitions: il y a des âmes en peine qui errent dans les hills; certains lieux sont tabous, maudits pour des générations. Et l’on se demande si le pays que nous traversons n’est pas lui-même une sorte de purgatoire de l’histoire des États-Unis.

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Le livre se découpe en neuf courtes nouvelles. Dans une langue âpre et rude, Chris Offutt nous propose de suivre quelques habitants de la région, à travers de courts instants vécus. Il y a le jeune Junior qui tentera de passer un examen scolaire, peut-être en vain; Fenton et sa partie de cartes dans un fumoir perdu au milieu des bois qui tournera au désastre; il y a aussi Everett, qui après une dernière soirée passée au seul bar du bled prendra une route différente de celle de ses habitudes, et qui l’emmènera dieu sait où. Beaucoup de sécheresse dans la narration, et des dialogues ciselés d’une façon très brute, mais beaucoup d’empathie pour les personnages; je crois que Chris Offutt a grandi dans un lieu proche de ce qu’il décrit, et certains passages proposeraient donc un aperçu autobiographique. Il a d’ailleurs publié d’autres ouvrages qui sont annoncés comme des mémoires, et qui restent dans la même veine que ce recueil de nouvelles. Je pense que l’auteur peut être rapproché, dans cette manière d’écrire sur l’isolement dans les grands espaces, et cette façon de déployer une atmosphère teintée de lumière grise, de quelques écrivains comme Cormac McCarthy (sans les envolées lyriques et bibliques), ou Ron Rash. Je reste impressionné par le ton du livre, qui claque et qui fouette bien comme il faut.

“Personne sur ce flanc de colline a jamais fini le secondaire. Par ici on juge un homme à sa façon de faire, pas au gingin qu’il est supposé avoir. Je chasse pas, pêche pas, travaille pas. Les voisins disent que je pense trop. Il disent que je suis comme mon père et Maman a peur qu’ils aient peut-être raison.

Quand j’étais petit on avait un chien à pister les ratons qui s’est collé dans un putois et ensuite a eu le toupet d’aller se fourrer sous le plancher du porche. Il pleurnichait là dans le noir et refusait de sortir. Dad lui a collé un coup de fusil. Il en puait pas moins pour autant, mais Dad lui il se sentait mieux. Il a dit à maman qu’un chien qui sait pas faire la différence entre un raton laveur et un putois, faut l’abattre.

“N’empêche qu’il est toujours sous le porche”, qu’elle a fait Maman.”

Ambiance Deliverance propre en ordre dans le milieu de ce que l’on appelle les rednecks, et ce supplément d’âme qu’offre Offutt avec des personnages qu’il affectionne et qui sont les siens; un grand livre pour découvrir un monde perdu au milieu d’une nation que l’on croit bien connaitre et qui n’en finit pas, avec ses multiples mondes perdus, de nous réserver des mystères. je vous conseille fortement de vous rendre dans ce pays que personne ne visite.

“Kentucky straight” (Kentucky straight – 1992)

Chris Offutt / Editions Gallimard, 1998

Le Wayfaring stranger de Cash (Solitary man, 2000), ticket d’entrée pour le Kentucky staight; il suffit de suivre la piste.

Premier sang, de David Morrell

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Voici venue la livraison estivale des éditions Gallmeister! Paraissent ces jours deux ouvrages extraordinaires; l’un en la très belle collection grand format: le livre Délivrance de James Dickey, qui fut l’inspiration du fameux film éponyme de John Boorman (1972), dont je garde un souvenir glaçant et indélébile. C’est donc l’histoire d’un groupe d’amis qui ont décidé de descendre en canoé une rivière des Appalaches, avant qu’elle ne disparaisse engloutie par la construction d’un barrage en amont. Narquois, euphoriques avant le départ, ils interpellent l’autochtone et s’en moquent bien, ce dont ils se mordront les doigts par après. Pour anecdote, Bill Bryson rapporte dans son ouvrage Promenons-nous dans les bois, qui évoque donc les Appalaches, un entretien avec Dickey expliquant qu’après avoir passé sa vie dans cette région, il n’a rien inventé de cette histoire, et que les choses se passent ainsi par là-bas! Je me réjouis de lire Délivrance, mais j’ai donc commencé par l’autre nouvelle parution de l’éditeur, dans sa collection de poche Totem: Premier sang.

“Il s’appelait Rambo. Pour autant qu’on sache, c’était juste un gamin de rien du tout qui se tenait à côté d’une pompe à essence dans une station-service des abords de Madison. Il portait une barbe longue et épaisse, et ses cheveux tombaient au-delà de ses oreilles jusque dans son cou. Il avait la main tendue et le pouce en l’air et il essayait de se faire prendre en stop par la voiture arrêtée à la pompe. A le voir comme ça, debout, décontracté, une bouteille de Coca à la main, son sac de couchage à ses pieds sur le pavé, vous n’auriez jamais pu deviner que le lendemain, un mardi, la plupart des policiers du comté de Basalt seraient à ses trousses. Et encore moins que le jeudi il serait en cavale avec la Garde nationale du Kentucky, les forces de police de six comtés et un bon nombre de citoyens à la gâchette facile sur le dos. Mais, à le voir là, sale et loqueteux, vous ne vous seriez jamais douté du genre de gamin qu’était Rambo ni de comment tout cela allait être déclenché.”

Et oui! Après Le tireur de Swarthout, la Contrée indienne de Johnson ou donc le Délivrance nouvellement paru, les éditions Gallmeister poursuivent, en harmonie avec leur superbe et original catalogue de littérature américaine à tendance nature writing, la remise au goût du jour de grands textes mais pourtant méconnus ayant inspiré les classiques du cinéma hollywoodien. Voici donc réédité le livre qui a inspiré le film Rambo 1! Nom d’un petit cheval, quelle chose étrange à aborder. Je ne reviendrai pas sur le blockbuster de 1982 avec Stallone, car je n’en garde que des souvenirs d’enfant et n’ai pas eu l’occasion de le revoir depuis. Je m’avancerai juste en évoquant le fossé qui sépare le livre du film; le premier date de 1972, alors que le film fut tourné une décennie après, sous l’ère Reagan. On connait rétrospectivement le cinéma de masse américain de cette époque pour la glorification de la première puissance mondiale, de sa réussite dans tous les secteurs, et de la mise en valeur de la réalisation à tous les niveaux du rêve américain: Baby boomers, traders de Wall Street, Rockys partis de rien, soldats bodybuildés, ainsi que d’autres archétypes, c’était cela qu’on nous vendait. A revoir les productions de l’époque, sous la couche kitch et fluo, on peut tout de même en garder d’excellents souvenirs, et faire de belles découvertes. Mais retour au livre de David Morrell.

Début des années 1970. Alors qu’un vagabond erre dans les rues de la petite ville de Madison, Kentucky, le chef de la police du bled s’empresse de l’en chasser, au motif que si un chevelu commence à errer, il attirera la plèbe de ces hippies dont la presse parle. Mais l’homme entêté revient; et puis si on l’abandonne au loin dans les champs il reviendra une troisième fois. Le chef Teasle décide donc de lui faire passer un séjour en prison pour vagabondage. Mais ce pauvre hère, ce gamin hirsute, n’est pas n’importe qui; vétéran de la guerre du Vietnam, revenu traumatisé et complètement démoli par son séjour en enfer, incapable de trouver un terrain d’entente  entre sa vision cataclysmique du monde et le poids de l’autorité dans la vie quotidienne, il se révoltera contre l’enfermement, tuant un policier et s’enfuyant nu dans les rues de la bourgade, jusqu’à trouver un refuge éphémère dans la forêt puis dans les montagnes environnantes. Ainsi débute une gigantesque chasse à l’homme, où le nombre des effectifs policiers puis militaires ne pèseront finalement pas grand chose face à cet homme seul, imprévisible, parfaitement entrainé à la survie et à l’art de la guerre. C’est quand-même Rambo nom de bleu! Pratique du camouflage, maitrise du couteau pour éventrer, du fusil de chasse pour dégommer les forces de l’ordre, jusqu’à exploser un hélicoptère de deux balles tirées parfaitement; défoulement absolu dans l’action. Les stratégies de capture, puis d’attaque du chef de police Teasle sont sans arrêt mises en déroute par Rambo; on se demande bientôt qui est le fuyard et qui est chassé. Les dernières scènes proposent un final étonnant, explosif d’intensité pour le lecteur. C’est un texte jouissif, défoulant, énormément dans l’action; mais certaines pistes ouvrent sur une plus profonde réflexion.

Alors que paraissait ce livre aux Etats-Unis, en 1972, le pays était toujours embourbé dans le marasme de la guerre du Vietnam. Comment ne pas voir dans ce personnage de Rambo, revenu de l’enfer, une Némésis, ramenant la guerre en Amérique? Déployant le chaos dans cette bourgade tranquille de Madison, tuant, détruisant, les tenants et les valeurs de la démocratie occidentale, faisant vaciller le temps de cette chasse à l’homme l’ordre et le confort du temps de paix pour y instaurer le règne de la guerre et de la violence; ainsi avance cet ange de la désolation. C’est une superbe métaphore que ce personnage. Je dois dire qu’il m’est d’ailleurs plutôt antipathique dans le texte, qui est construit avec l’ordre d’un chapitre pour Rambo et d’un pour le policier Tealse, dont l’auteur, loin de rajouter une couche aux clichés des rednecks, a doté ce caractère d’une belle et tragique histoire, d’une grande profondeur et sensibilité. Je suis donc plutôt du côté du policier. Mais c’est un parti pris qui est ouvert au lecteur, l’on pourrait choisir, ou même pas. Au final, c’est un grand livre d’action, jubilatoire en ce sens, mais aussi doté d’une ouverture au sensible; le livre entier ressemblerait à ce qui pourrait être la grande scène de tension d’un roman proche du nature writing. C’est une magnifique pierre précieuse ajoutée au catalogue des éditions Gallmeister; franchement, allez-y les yeux fermés et sans parti pris; vous pouvez faire de même avec tout le catalogue de cet éditeur, ce ne sont à chaque fois que de pures merveilles et de fantastiques découvertes.

PS: le roman est accompagné d’une postface, où David Morrell évoque son ressenti sur ce qu’est devenu Rambo dans ce qu’on pourrait appeler le domaine public, ou la culture populaire, c’est très intéressant. Mais surtout, parlant de la genèse de l’écriture, il nous renseigne sur la découverte de ce nom: Rambo. Rambo, rambo, rainbow… Rainbow, rainbow, rain-baud… “O saisons, ô  châteaux, quelle âme est sans défauts?” Est-ce que je pensais une seule seconde rencontrer mon héros absolu au détour de ce roman? J’aurais pu en pleurer.

“Premier sang” (First blood – 1972)

David Morrell – Editions Gallmeister, collection Totem, 2013

Atmosphère de Premier sang:

*pour le fun, le trailer de Rambo 1