Ma fabuleuse enfance dans l’Amérique des années 1950, de Bill Bryson

ma fabuleuse enfance

The Kids Are Alright

“Chaque semaine apportait son lot de révélations excitantes sur les derniers progrès destinés à rendre les choses toujours plus rapides, plus pratiques. La peur du ridicule ne nous empêchait jamais d’essayer une nouveauté. “Le courrier distribué par missiles téléguidés”, titrait le Des Moines Register avec un enthousiasme et une fierté non dissimulés le matin du 8 juin 1959, après que les services postaux américains avaient lancé un missile Regulus chargé de trois mille lettres (tarif prioritaire) depuis un sous-marin de l’Atlantique jusqu’à la base aérienne de Mayport, en Floride, cent soixante kilomètres plus loin. Bientôt, nous assurait cet article, des roquettes postales sillonneraient le ciel de notre nation. […] En réalité, on n’en entendit plus jamais parler. Peut-être quelqu’un s’était-il avisé que les missiles risquaient d’avoir une fâcheuse tendance à rater leur cible et à s’écraser sur les toits des usines ou des hôpitaux, voire même à exploser en vol ou à dégommer quelques avions au passage, sans compter que chaque lancement coûterait des dizaines de milliers de dollars pour distribuer une cargaison d’une valeur maximum de cent vingt dollars selon les tarifs postaux en vigueur. Le fait est que la distribution de courrier par missile n’était pas réaliste pour deux sous et que chaque cent du million de dollars dépensé à titre d’essai était jeté par la fenêtre. Mais peu importe; l’essentiel était de savoir que nous pouvions envoyer du courrier par missile si ça nous chantait. Après tout, c’était l’époque où tous les rêves étaient permis!”

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Le missile postal Regulus, 1959 (photo US mailing center)

Une anecdote, parmi tant d’autres, tirée de ce magnifique recueil des souvenirs de jeunesse du génial Bill Bryson. Né en 1951 à Des Moines, Iowa, celui-ci a grandi au sein d’une famille middle-class, issue de cette Amérique où tout semblait à nouveau possible. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que les cartes à l’échelle du globe étaient encore une fois redessinées, et que se traceraient bientôt d’une forme plus précise les contours de deux blocs idéologiques bien distincts, bien que larvés en l’idée d’une bien Froide Guerre, guerre des nerfs avant tout, cette Amérique bénie de dieu – God bless America – se découvrait une passion sans fin pour la consommation de masse et la technologie. Les industries organisées et mises en branle lors de l’effort de guerre se recyclaient à merveille pour servir à l’usage du business émergent: automobiles, supermarchés, télévisions, équipements domestiques, infrastructures urbaines, et même bunkers privatifs: tout fut rendu pour être désirable, extraordinaire, sinon nécessaire. Mais au-delà du simple constat, ce qui donne toute sa force à ces mémoires, c’est qu’il s’agit du petit Billy the Kid Bryson qui les raconte, qui se souvient de ses dix premières années et qui rend compte de la ferveur, enfantine bien sûr, démesurée souvent, face à la sensation d’avancer dans ce futur où tout est imaginable. Aucun homme n’est encore allé dans l’espace? Qu’à cela ne tienne, on nous promet des colonies sur la lune pour bientôt, et c’est juré, c’est dans tous les journaux! Les voitures encombrent-elles les nœuds de sortie des highway? On travaille à mettre au point les premières autos volantes, et la télé dit que c’est pour l’année prochaine! L’avancée de ces technologies, pour le commun des mortels consuméristes, ne se traduit pourtant plutôt que par des petits tricks étranges, qui, autant que marquant l’époque, témoignent du décalage entre ce qu’est le monde que l’on connait et sa propre genèse: à l’image de ce missile postal avorté, la mayonnaise en spray aura bien vite tourné… Mais qu’importe l’ivresse, pourvu qu’il y ait le flacon, brandé bien sûr.

atomic city

Atomic City (photo Tom Hollyman / Fine art america)

Un témoignage parfois doux-amer, mais toujours empli de cet humour désopilant propre à Bryson, capable de nous emmener par des chemins détournés vers des lieux, et bien, disons, insensés; mines d’informations revues et corrigées, propres à sourire, à s’émerveiller, ou parfois à s’indigner la moindre. On passe toujours un bon moment avec ses bouquins, et c’est souvent comme si c’était un ami qui nous racontait ses souvenirs au coin d’une table de fin de soirée. Il veut nous faire marrer le bougre, passer un bon moment, et on ne retient pas souvent la profondeur des images qu’il évoque: coincée sous l’humour nonchalant de ce nouvel anglais exilé à Durham, c’est une foule sentimentale bigarrée, grimée pour le carnaval des pages à dévorer que l’on rencontre. Ici, alors que nous sommes plongés dans les glorieuses fifties, on pense d’abord au premier volet de Retour vers le futur, mâtiné d’un épisode des Jetsons, avant de ne se rendre compte qu’il est sincère quand il entend qu’il regrette ce monde d’alors, que l’on ne reverra plus. Alors que nous ne rêvons plus de voyages dans l’espace, sinon à travers les films et la fiction, et qu’il faut justifier ces rêves de fiction par des algorithmes interminables, alors que nous ne rêvons plus tant du futur impossible; alors qu’aujourd’hui tout nous semble déjà exister, et même être, dramatiquement, directement accessible dans cette existence; je me demande aussi. Est-ce que ce n’était pas mieux avant? Est-ce que ce n’était pas mieux avant, quand j’étais gamin? Ça semblait peut-être en tout cas plus logique. C’est peut-être cela une part du message que Bryson veut nous faire passer, voir une partie du monde avec les yeux d’un enfant. Et ça peut faire du bien…

atomic kids

…ou pas? (sources photo inconnues de moi)

Ma fabuleuse enfance dans l’Amérique des années 1950 ( The Life and Times of the Thunderbolt Kid – 2006)

Bill Bryson / Editions Payot 2009; Editions Payot poche 2010

Traduit par Julie Sibony

The Shirelles – Mama said (1961)

“Mama said there’ll be days like this
There’ll be days like this mama said…”

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