Galveston, de Nic Pizzolatto

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Un superbe premier roman; une road story noire presque immobile, en attente du chaos à venir

“Tu nais, et quarante ans plus tard tu sors d’un bar en boitillant, étonné par toutes tes douleurs. Personne ne te connaît. Tu roules sur des routes sans lumière et tu t’inventes une destination parce que ce qui compte, c’est le mouvement. Et tu te diriges ainsi vers la dernière chose qu’il te reste à perdre, sans aucune idée de ce que tu vas en faire.”

La Nouvelle-Orléans, 1987. Roy “Country man” Cady, homme de main et collecteur de dettes de la mafia locale, doit remplir une nouvelle mission pour son patron, Stan Ptitko. Ce dernier l’envoie secouer le chef du syndicat des dockers afin de le remettre en place et de lui faire cracher des pots-de-vins impayés; mais l’opération à mener était un piège, car le big boss a décidé de faire le ménage dans son équipe, et d’éliminer Cady: rien de bon quand on est l’ancien amant de la maitresse du caïd. Le traquenard se referme sur le héros quand il débarque dans la maison qu’il visait; des tueurs l’y attendent, lui ainsi qu’un de ses collègues, et deux pauvres filles de joies qu’il faut éradiquer. Par miracle, Cady parvient à s’échapper de la fusillade, et emmène avec lui l’une des prostituées, la jeune et hargneuse Raquel, dite Rocky. Ensemble, ils prennent la route, et quittent la Louisiane au plus vite à bord d’un vieux break, longeant le Golfe du Mexique, jusqu’à parvenir au Texas. Ils trouveront un refuge précaire à Galveston, petite ville sudiste sur une île au large du Continent.

Alors voilà: Roy Cady, la quarantaine bien sonnée, avait appris depuis quelques jours qu’il était atteint d’un cancer des poumons. Refusant de poursuivre des examens, d’entamer un traitement, il se retrouve maintenant à ruminer l’idée de sa disparition prochaine; se remémorant le parcours chaotique de sa vie, tout en en faisant le deuil, il accepte bientôt cette dernière fuite en avant comme étant l’ultime acte de son existence ratée, vouée à l’échec et à la violence. Et puis il se rapproche de la gamine qu’il a sauvée, Rocky, jeune fille de 18 ans qui n’aura jamais eu de chance. Partie bien vite du sordide foyer familial, elle a survécu dans les rues, malgré la zone et les mauvaises fréquentations, en se vendant bientôt, jusqu’à se retrouver esclave de la pègre. Alors qu’elle s’enfuit avec Roy, Rocky parvient à retrouver sa petite sœur Tiffany et à l’enlever à son horrible beau-père. Les trois se retrouvent donc, au terme de leur échappée, dans un petit hôtel de Galveston, sous couvert de l’anonymat relatif d’une improbable famille recomposée.  La mafia est peut-être encore à leur poursuite; Roy, qui n’a plus grand chose à perdre, décidera de jouer ses dernières cartes pour aider les deux sœurs à se reconstruire une vie…

Sombre roman que ce Galveston; un héros au look et à l’attitude d’un Lemmy de Motörhead, bientôt rongé par la maladie, et entouré d’une galerie de personnages secondaires évoluant tous dans des limbes noires, du côté obscur du rêve américain des années Reagan. Si l’action principale se déroule en 1987, un subtil jeu de flashforward renvoie le lecteur, en certains chapitres, en l’année 2008, toujours à Galveston: c’est le futur qui offrira un regard et une réflexion sur le drame déroulé, et indiquera que l’on échappe jamais à son passé. Il y a finalement peu de mouvement dans ce livre construit pourtant comme une road story, mais le dépaysement est total. Le voyage est surtout intérieur pour ces caractères amochés, écorchés, et le supplément d’âme insufflé permet de transfigurer le décor, pour en réguler la lumière et proposer une vision crépusculaire et poussiéreuse des régions visitées (Nouvelle-Orléans / comté d’Orange, Texas / Galveston). Le tout imprègne définitivement l’histoire, et le lecteur est définitivement parti sur des routes cabossées, dangereuses, dont il ne reviendra pas indemne. Les évènements qui se déroulent en 1987 proposent quelques scènes de violence, et pas mal de suspense, basé sur la menace qui pèse sur Roy et les deux sœurs.  Dans le futur, un personnage revient sur les lieux du drame, alors que l’ouragan Ike se prépare à fondre sur les côtes du Golfe du Mexique, amenant avec lui la désolation de la boue et du chaos; prêt à tout réduire au silence et à l’oubli.

C’est le premier, et pour l’instant seul livre de Nic Pizzolatto, jeune écrivain américain né en Louisiane. L’auteur est actuellement occupé par la télévision, où il est le scénariste de la série True detective (HBO). Si je me réjouis déjà de découvrir son travail sur le show, j’espère qu’il reviendra bientôt au roman, car ce premier ouvrage est une réussite totale. C’est un superbe anti-polar que l’on ne peut lâcher; et si c’est un excellent divertissement, je pense qu’il va même un peu plus loin que ça. Inspiré par Faulkner, dont une citation lance le texte, Galveston s’inscrira peut-être un jour comme l’une des références de la littérature sudiste de notre époque. Profondeur et charisme des personnages, vision de l’histoire contemporaine des Etats-Unis, ainsi qu’une maitrise parfaite des ficelles des genres littéraires, et populaires, de notre époque, font de ce livre une vraie merveille. Rendez-vous un de ces jours à Galveston, ça vaut vraiment le coup d’oeil.

d.j.phillippoolgetty

La côte texane après le passage de l’ouragan Ike, 2008 (photo David J. Philip Pool / Getty)

“Galveston” (Galveston, 2010)

Nic Pizzolatto / Editions Belfond, 2011; Editions 10-18 poche, 2013

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