Au secours! Un ours est en train de me manger!, de Mykle Hansen

au secours! Un ours est en train de me manger!

Where The Wild Things Are

“Vous pensez que vous avez des problèmes? Moi, je suis en train de me faire dévorer par ours! Oh, mais désolé, toutes mes excuses, écoutons vos problèmes! Mmm-hmmm? Alors comme ça, votre patron est méchant avec vous? Et votre voiture vous cause des soucis? Et vous vous inquiétez pour l’environnement? Tiens donc! Votre environnement vient juste de me bouffer un pied! Je pisse mon sang sur votre environnement. Je peux donc à présent affirmer sans crainte d’être contredit que MES PROBLÈMES SONT PIRES QUE LES VÔTRES. Alors fermez-la avec vos problèmes, OK?”

Marv Pushkin, directeur de la communication d’une grande agence de Seattle, a décidé d’emmener toute son équipe pour un week-end de chasse à l’ours en Alaska. Du team-building, on appelle ça; mais derrière le prétexte de resserrer les liens entre lui-même et ses différents collaborateurs, de renforcer le noble esprit d’entreprise en mode “struggle for life”, c’est peut-être surtout pour se taper tranquille la jeune et plantureuse Marcia du service clients qu’il a organisé cette petite virée. Les fauves à lunettes, GPS et équipements de luxe sont lâchés dans la nature, le camp de base tout confort est monté; ne reste à Marv qu’à démontrer une fois de plus qui est le grand chef de sa pitoyable bande de lopettes et de femmes soumises, dixit-il. Suite à une première séance managériale ratée où il se retrouve moqué par ses sous-fifres, blessé dans son orgueil démesuré, le Marv embarque dans son rutilant 4 x 4 Range Rover et s’en va se perdre un peu dans la forêt. Mais voilà donc que son paquebot blindé et sur-assuré se permet l’outrecuidance de se laisser percer un pneu. Affairé comme il le peut à réparer le dégât, il se retrouve on ne sait comment coincé sous la voiture, lorsque le cric lâche et que le châssis lui broie une jambe. C’est à ce moment-là qu’un indésirable rôdeur fait son apparition: un énorme ours noir. Attiré par les cris émanant de la Range, il s’approche lentement, et voyant cet appétissant pied qui dépasse de la carlingue, commence à le mâchonner…

“Tu te prends pour un dur, Monsieur l’Ours? J’ai botté des culs plus gros que le tien. Mange, dors et sois poilu; demain, je te crève.”

Commence alors le long calvaire dudit Marv Pushkin, grand prédateur de la jungle des villes et réduit ici à l’état de proie, de pique-nique tranquillement dévoré par l’indélicat ursidé. Heureusement, la glacière se trouvait à portée de main; et c’est aidé de quelques Budweiser et de saucisses Slim Jim, ainsi que de toutes ces précieuses pilules aux planantes vertus dont il ne se sépare jamais, qu’il va tenter de survivre jusqu’à ce que les secours débarquent. Bientôt complètement shooté, détraqué, il laisse aller sa pensée délirante en un hallucinant monologue, empli de haine et de rancœur envers cette satanée, stupide nature, qu’il rêve d’éradiquer.

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(photo wollpaper.com)

“L’Amérique avait presque écrasé la Nature dans les années cinquante, mais ces chevelus caresseurs de baleines se sont faufilés dans l’infrastructure de la société et ont désactivé notre résolution. Ils ont déclaré le cessez-le-feu avec la Nature, mais la Nature ne sait pas quand s’arrêter. La Nature n’arrête pas de chercher la bagarre et je jure sur le tableau de bord de mon Range Rover que la Nature va trouver à qui parler avec moi. Je suis un Homo Sapiens, un humain, et les humains gouvernent cette planète. La Nature est à notre service et la Nature finit dans nos sandwichs. La Nature pourrait se contenter de nous fournir du crabe royal frais, du saumon sauvage Chinook et des bois exotiques pour nos minibars, mais non, la Nature ne veut pas rester à sa place. La Nature veut péter plus haut que son cul. Alors voilà ce que je lui dis: Nature, tu es virée!”

Autant préciser tout de suite que l’intrigue de ce petit livre est presque totalement contenue dans son titre; il ne faudra pas chercher tellement plus loin que l’idée d’un énorme délire transposé en fiction. C’est d’ailleurs, il me semble, l’un des challenges du mouvement littéraire Bizarro, auquel est affilié l’auteur: proche d’une idée de culture populaire allant de la série B jusqu’à la Z, inventant des histoires tordues, détournant les sous-genres, et regardant jusqu’où cela peut mener. Ici, le genre assumé, puis dézingué, comme indiqué sur la couverture, est celui de l’anti nature writing. Et c’en est effectivement un de démontage, pas tant dans les règles, plein de petits coups bas, de moqueries et de sorties assassines; c’est par moments jubilatoire. Le personnage de Marv Pushkin, cliché ambulant, sorte de Loup de Wall Street dont on n’aurait gardé que les travers et la perversité, propose un excellent exemple du cynisme contemporain poussé à l’extrême. Au-delà de la farce légère proposée par Mykle Hansen, restent les grands pavés de délires monomaniaques commis par son héros, peintures au vitriol crachées à la face d’un ours qui lui rit au nez, dont on ne se lasse pas et que l’on relit à voix haute avec plaisir. Au secours! Un ours est en train de me manger! est un bon petit bouquin parfait pour la détente, à savourer avec un petit mojito des vacances bien chargé. Et on espère une traduction prochaine de cet autre ouvrage de l’auteur, au titre très intriguant: Rampaging fuckers of everything on the crazy shitting planet of the vomit atmosphere… Si ça ce n’est pas un bon titre-challenge?!

mykle hansen

Mykle Hansen (photo Ross Blanchard – pdxmag)

Au secours! Un ours est en train de me manger! (Help! A bear is eating me! – 2009)

Mykle Hansen / Editions Wombat, 2014

Sweet Thang, de Shuggie Otis (1971)…. Loaded.

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