Terreur apache, de W.R. Burnett

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Un beau jour pour mourir

“Ils se dirigeaient vers le sud, toujours le sud, voyageant la nuit et s’arrêtant le jour. C’était comme un cauchemar. Il semblait aux Blancs qu’ils chevauchaient depuis une éternité dans le désert et les montagnes, et qu’ils resteraient à jamais assis sur une selle, tournés vers le sud.”

En 1886, alors que la ville de New-York présentait au monde le symbole de la plus grande valeur américaine, la Liberté, à travers une statue monumentale, on pouvait dire que les guerres indiennes étaient terminées, et que les survivants amérindiens étaient tous parqués dans des réserves, sur des petits îlots de terres ingrates tracés à la carte dans divers coins de ce pays qui ne leur appartenait pas. “Un bon indien est un indien mort“, avait hurlé le Général Sheridan pendant les batailles, et cela avait alors parfaitement fonctionné; aujourd’hui on ne pouvait pas simplement exterminer ceux que l’on avait mis à genoux. La triste époque de l’assimilation, transformée plus tard en Termination, allait bientôt pouvoir débuter; en attendant l’on surveillait ces autres que l’on avait cloisonnés comme du bétail. C’est dans ce contexte, et en cette année précise qui est aussi celle de la reddition de Geronimo, que William Riley Burnett situe son superbe western, Terreur apache.

Direction l’Arizona. Perdue dans le désert, au fond d’un bassin asséché, se trouve la petite ville de Mesa Encantada. Une garnison de l’armée américaine, occupée à surveiller la réserve apache avoisinante, y a pris ses quartiers. Mais un jour Porfiano, le vieux chef indien garant de la cohésion de sa tribu, s’enfuit pour le Mexique, accompagné de plusieurs des siens. Un jeune guerrier du nom de Toriano profite de la débandade pour disparaitre lui aussi. Avec quelques fidèles, il s’est planqué dans les montagnes bordant cet horizon et mène des raids sanglants sur les colons, terrorisant toute la région. Face à cette situation où tout lui échappe, le colonel en charge du secteur appelle à lui plusieurs éclaireurs, des scouts miliciens de l’armée régulière. Il s’agira d’une bande d’anciens militaires, d’apaches ayant rejoint le camp de l’Union, d’un ancien sudiste errant dans les grandes plaines de l’Ouest; et parmi eux se trouvera Walter Grein, mythique visage pâle ayant œuvré dans toutes les guerres et nourrissant une haine tenace envers les indiens. Leur mission sera de débusquer ce démon de Toriano, et de mettre fin à sa chevauchée meurtrière, par tous les moyens. Alors qu’une troupe de soldats est envoyée à la recherche de Profiano afin de le ramener dans la réserve, Grein et son groupe de non-réguliers apprennent que Washington, craignant un plus grand débordement dans la région, a annulé l’ordre d’abattre Toriano. Tant pis, ils partiront pour une mission officieuse, et traqueront le rebelle jusqu’aux confins de ce monde aride et désolé.

geronimo en exil

“Scene in Geronimo’s camp, before surrender to General Crook” (photo A.S. Fly, 1886)

Alors nous embarquons avec Walter Grein et ses hommes pour un périple dans ces lieux sauvages; traversée dangereuse du désert et ascension pénible des montagnes, avec toujours l’inquiétude de se faire prendre par surprise par les apaches que l’on croit poursuivre, et qui peut-être nous attendent au sommet de ce ravin qui nous fait enfin de l’ombre. Les paysages retranscrits dans le texte sont de toute beauté, de cette beauté parfaite qui en deux lignes est capable de nous en faire ressentir tout ce qu’elle contient de cruel. Nous ne sommes rien face aux éléments, “éphémères regroupements humains qui n’étaient pas là avant et ne seraient plus là après“. Il faudra pourtant préserver les acquis de la civilisation, et l’on combattra d’abord, avec les personnages de ce roman, ce que l’on juge comme sauvagerie des indiens avant de s’attaquer à la sauvagerie de la nature. Le lecteur ne découvrira ce monde qu’à travers les yeux de Grein, homme insensible et sans pitié, nourri par une détestation tenace des “Peaux-rouges” (assassins, voleurs, menteurs). On ne justifiera jamais cette position, il ne nous restera qu’à poursuivre la traque et à se laisser porter par l’action soutenue tout le long de l’histoire. Des embuscades et des pièges tendus, des fuites éperdues sous les rafales des winchesters et des colts, le livre file à un train d’enfer qui ne nous laissera pas sur le carreau, trop heureux que nous sommes d’être plongés dans un western classique, avec l’impression parfois de lire un bon vieux ten cent novel planté dans le majestueux décor de nos rêves.

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Apache County, Arizona (E.O. Bearman, 1871)

Pour tous les amoureux de l’Ouest, des grands espaces; pour l’intérêt historique que ce texte empli de petits et grands évènements propose; pour le plaisir de lire un vrai roman d’action et d’aventure, dans un paysage mythique et nourri de légendes. Allez, simplement pour l’évasion; quel grand livre que ce Terreur apache. J’avais lu le Méridien de sang de Cormac McCarthy, qui exploite un thème assez proche; mais si McCarthy, par une explosion du texte et de l’image métaphorique renvoyait l’épopée à une représentation générale de l’idée de violence de l’histoire américaine, ici Burnett reste volontairement terre-à-terre. Les hommes agissent, pour quelque chose qui les dépasse, mais on ne s’échappera pas de leur pensée fixe. Et si l’on peut trouver surprenant de ne jamais pouvoir imaginer le point de vue des indiens, et qu’il faudra les voir ici comme des ombres, des absents presque perpétuels, rien n’est enlevé à leur honneur; honneur de combattants, honneur d’hommes qui luttent encore brisés à terre. Les justes ne sont pas toujours ceux que l’on nous présente; et si l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs, il y aura toujours une voix, même celle des spectres, pour nous faire entendre autre chose. Parfois c’est la conscience, parfois c’est celle des autres, parfois c’est un murmure qui revient de nulle part. Et il y aura bientôt tant de vent dans ces plaines désertées que les murmures se transformeront en véritables ouragans.

PS: Le réalisateur français Bertrand Tavernier a lancé ces jours une nouvelle collection aux éditions Actes Sud: “L’Ouest, le vrai“. A travers les ouvrages qu’il propose, il souhaite faire découvrir aux lecteurs francophones des classiques de la littérature western américaine ayant beaucoup inspiré le cinéma et la culture populaire mais que nous n’avons peut-être pas eu l’occasion de lire. Terreur apache est l’une de ses deux premières publications. Accompagné d’une postface de Tavernier qui replace le roman dans son contexte, j’ai appris que ce livre avait inspiré plusieurs cinéastes, dont Robert Aldrich. Et j’ai surtout découvert cet immense écrivain méconnu qu’est William Riley Burnett. Scénariste du premier Scarface de 1932, et auteur du roman noir classique Quand la ville dort (The asphalt jungle), Burnett estimait que le meilleur de son travail se trouvait dans ses westerns. Je serai attentif aux rééditions et nouvelles parutions autour de son oeuvre; et puis surtout je vais garder un œil ouvert et attentif, fidèle déjà, sur cette jeune collection chez Actes Sud si pleine de promesses. La piste est tracée, et c’est quelque chose à suivre, folks!

“Terreur apache” (Adobe walls – 1953)

W.R. Burnett / Editions Actes Sud, 2013

Dirty Blue de Wovenhand (2006), descente au fond de l’orbite noire et dévorante, au fond du bassin asséché de ce désert; le voyage continue.

4 comments on “Terreur apache, de W.R. Burnett

  1. kikushiyo says:

    Bravo pour ce très bon billet. J’ai lu ce livre et je m’y retrouve bcp. Seul bémol, ce n’est pas les peaux-rouges, ni les indiens que déteste Grein, mais il précise qu’il a une haine de l’Apache. Je suivrai aussi cette nouvelle collection.

    • Merci pour le commentaire, ça me fait grand plaisir, et merci pour la correction pertinente; j’ai dû me laisser emballé lors de la rédaction! Pas de nouvelles de Monsieur Tavernier, j’espère qu’il poursuivra son projet si plein de promesses!

  2. MONTAGNAT CHRISTOPHE says:

    la légende de la photo montrant “Géronimo en exil ” est TOTALEMENT FAUSSE ! cette photo est l’une des nombreuses prises par le photographe FLY, qui accompagna le Général Crook lors d’une campagne militaire destinée à “capturer” Géronimo et ses guerriers. ces photos sont en fait uniques dans l’histoire des guerres indiennes: ce sont les seules jamais prises qui montrent l’ennemi, l’armée US et la bande de Géronimo étant toujours en guerre lorsque Fly prit les clichés !!

    • Bonsoir, merci pour votre commentaire et votre éclairage; je suis navré mais je ne me souviens plus pourquoi j’ai légendé l’image de cette façon erronée; j’avais au moins le nom de l’une des figures représentées ainsi que l’auteur, c’est au moins ça, mais je corrige de suite selon les éléments que vous mentionnez. Merci encore!

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