Little bird, de Craig Johnson

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Je n’étais pas loin de la crise de nerfs en ces jours, absorbé par la frénésie du quotidien, courant pour rattraper le temps déjà passé, et puis j’ai raté Craig Johnson en dédicace. J’aurais voulu voir l’homme au stetson et lui serrer la main, et lui baragouiner anglais pour lui dire que je l’aimais damnèdement bien. Et c’est alors qu’une chère amie m’a fait un cadeau formidable, un de ces précieux totems Gallmeister orné des salutations de l’auteur en première page. “Enjoy a strange land…” m’encourageait Johnson. Alors j’ai tout lâché et pris le ticket direction le Wyoming.

Direction la petite ville imaginaire de Durant, comté d’Absaroka, et rencontre avec le shérif Walt Longmire. Après plus de vingt ans de service, cet homme fatigué s’apprête à prendre sa retraite, et déléguer l’office à sa partenaire Vic, flic énergique mais désabusée de Philadelphie échouée dans l’Ouest. C’est que Walt a d’une certaine façon comme renoncé; établi dans cette maison jamais terminée et bientôt en ruine, hanté par le souvenir de sa femme disparue et incapable de renouer le contact avec sa fille, la vie est d’une monotonie grise et froide comme en cet automne où nous arrivons. On se rend au Red Pony Saloon pour discuter avec Henry Standing Bear, le partner indien avec qui l’on a vécu la guerre, et si l’on s’entend comme chien et chat c’est la meilleure façon d’exprimer la plus grande amitié entre ces deux caractères. Quelques parties d’échecs avec Julius, l’ancien shérif et mentor, à la maison de retraite.  Et puis il y a Vonnie, que l’on apprend à connaître, et qui réveille peut-être quelque chose d’enfoui que l’on croyait mort, comme une fleur sous la neige.

Les jours se suivent et se ressemblent, et les interventions de la police ici se résument souvent à régler des conflits d’éleveurs, des crises familiales, des cas d’ivresse au volant. Jusqu’à ce jour où le corps de Cody Pritchard est découvert dans un pré proche de la réserve indienne, lardé d’une balle de fusil antique, une sorte de plume d’aigle en signature de l’acte. Surgit le souvenir de cette terrible affaire, quelques années auparavant, où Cody et trois de ses amis alors adolescents avaient été condamnés avec sursis pour le terrible viol de la jeune indienne Melissa. Le meurtre est-il lié, est-il une vengeance? Les autres de la bande seront-ils les prochaines cibles d’un mystérieux tireur? L’hiver s’approche, et avec lui la première grande tempête, alors s’engage une course contre la montre et une plongée dans l’histoire des personnages à la recherche de la vérité. Si les routes sont parfois longues à parcourir, une expédition en montagne reprendra le rythme trépidant d’une cavalcade. Et perdu dans le blizzard, on pourra se sentir suivi, guidé, par les fantômes d’anciens guerriers cheyennes.

C’est une superbe galerie de personnages, un peu rudes et préférant lâcher un ouaip plutôt que des palabres, mais très attachants; une bonne dose d’humour aussi. De très belles pensées sur la nature émaillent le texte et enrichissent l’accroche sensible de cette enquête policière. J’adore ces mots de Walt:

“A un moment, plongé dans mes réflexions, je vis un petit flocon tout rond traverser mon champ de vision, se poser contre l’un des blocs de ciment et disparaitre. Il y en avait d’autres, maintenant, qui flottaient doucement dans la fraicheur de l’air nocturne. Les scientifiques disent que les flocons, en tombant dans l’eau, font un bruit, comme le gémissement d’un coyote; le son atteint un apogée puis décroit, le tout en environ un millième de seconde. Ils ont découvert ça quand ils ont utilisé un sonar pour repérer les migrations des saumons en Alaska. Les flocons de neige faisaient tellement de bruit que les signaux émis par les poisson étaient inaudibles et l’expérience dut être abandonnée. (…) Je levai les yeux vers les quelques étoiles qui restaient visibles. Il me semblait qu’un nombre épouvantable de voix résonnaient dans ma vie, si ténues et si aiguës qu’elles en devenaient indétectables par l’oreille humaine.”

Je me suis laissé bercer par le voyage, et par l’enquête; parfois j’étais un peu ailleurs alors je contemplais le paysage depuis la fenêtre côté passager du pick-up, et puis j’étais de nouveau pris par le rythme mouvant de l’histoire. Au final j’ai passé un très bon moment avec ce livre entre les mains, et ce n’est que le premier de la saga Walt Longmire que je me réjouis de poursuivre. Je suis rentré à la maison par le mont d’ottans, apaisé avec de nouvelles images en tête,  mais je reviendrai bientôt à Durant, Absaroka, en ce “strange land”.

“Little bird”

Craig Johnson / Editions Gallmeister, 2011

Atmosphères de “Little bird”:

*la série Longmire, que je n’ai pas encore vue

*la saga Walt Longmire chez Gallmeister

*le site officiel de Craig Johnson