Le kid de l’Oklahoma, de Elmore Leonard

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Hot Kid, Public Enemies et Petites Pépées

“Qu’est-ce que ça fait d’être avec quelqu’un qui est recherché, mort ou vif? J’ai demandé à Crystal si elle avait peur en permanence. Elle m’a répondu: “Ben, évidemment.” Mais elle a eu l’air surprise, comme si c’était une question qu’elle ne s’était jamais vraiment posée. Avoir peur lui était devenu aussi naturel que de respirer. Heidi est différente, c’était une prostituée et je pense qu’elle trouve le danger stimulant, que ça la change. Au relais, elle se moquait de Jack parce qu’il avait abattu une vache, en disant qu’il l’avait fait exprès. Alors que juste sous ses yeux il y avait sept types qu’il avait descendus, et qui gisaient raides morts dans la cour.”

Okmulgee, Oklahoma, un jour d’automne de l’an 1921: le jeune Carlos Wesbster, 15 ans, fils d’un cultivateur et éleveur de la région, se retrouve être le seul témoin d’un crime commis par Emmett Long et son gang, lors du braquage d’un drugstore et du meurtre gratuit d’un policier. Cette première rencontre avec un célèbre bandit laissera des traces dans l’esprit du gamin, qui se sera senti humilié par l’arrogance déployée de Long, dont il jurera de se venger. Cette même année, il abat sans sommation un voleur de bétail venu chaparder sur les terres de son père. C’est donc ainsi qu’il commencera à se forger une idée toute personnelle de la justice… Quelques années plus tard, alors qu’il aura réduit son nom à un simple “Carl”, bien plus américain dans l’âme selon lui, il parvient à se faire engager comme marshall; c’est maintenant muni de l’étoile de la loi et de l’ordre, mais cultivant ses propres méthodes particulièrement expéditives, qu’il repart à la poursuite d’Emmett Long et des membres de sa bande. Rapidement devenu la coqueluche du public, grâce aux médias qui suivent ses moindres faits et gestes et réécrivent sa légende, le Hot Kid devra pourtant garder la tête froide: car les braqueurs de drugstore qu’il traque ne sont pas les seuls à écumer la région, et d’autres loups, certainement bien plus dangereux, se terrent peut-être et attendent leur heure, “dans les étendues sauvages de l’est de l’Oklahoma”.

Un destin parallèle à celui de Carl Webster semble se nouer à son sillage, celui de Jack Belmont. Fils d’un Oilman qui aura fait fortune lors de la ruée vers l’or noir, enfant pourri-gâté, désœuvré et profiteur, il bascule dans le crime le jour où il décide de kidnapper la maitresse de son père et de rançonner ce dernier. Un plan foireux qui lui vaudra, après plusieurs péripéties et un premier avis de recherche, de se mettre au vert et de se planquer pour quelques temps. Mais si l’idée n’était pas la bonne, le fait d’être un bandit commence à séduire Jack Belmont: se constituer un gang, braquer les banques des alentours, alimenter la peur rien qu’avec son seul nom; tenir un speakeasy-bordel et régner sur son petit empire. Et pourquoi pas un jour supplanter les maitres du genre, et devenir l’ennemi public numéro un? C’est sans compter sur la ténacité du marshall Carl Webster, qui n’aura de cesse de se mettre en travers de sa route. Et c’est bientôt à un véritable jeu du chat et de la souris que se livrent les deux hommes, le long d’une frontière mouvante de la justice, où l’on ne sait plus vraiment qui chasse l’autre, et qui aura le dernier mot…

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mugshot du awesome-robo.com (lien en fin d’article)

L’histoire se passe principalement entre la fin des années 1920 et le début des années 1930, et le récit est truffé de références à cette époque . C’est le temps des dernières bandes d’outlaws, de ces derniers bandits errants héritiers de Jesse James et du mythe du Far-West, juste avant que le crime organisé ne se regroupe en “syndicats”, et ne voudra justement plus de ces fauteurs de troubles, trop publics à leur goût. On croise dans le roman tous ces fantômes qui nourrissent la fiction, de Pretty Boy Floyd à Bonnie and Clyde, en passant par Baby Face Nelson, jusqu’à l’ombre tutélaire de John Dillinger, le véritable ennemi public numéro un, dont le parcours souvent rappelé ici permettrait presque d’y apercevoir comme le négatif  photographique d’une biographie. Les réseaux mafieux participeront bientôt à la chute de certains de ces insoumis, dont Dillinger; en attendant c’est encore le règne de la Main Noire, importée d’Italie, et les représentants de cette organisation criminelle ancestrale sont bien implantés dans l’état de l’Oklahoma: une grande partie des employés et contremaitres des raffineries de pétrole de la région sont des immigrés italiens, et ceux qui ne sont pas dans le système y sont soumis malgré eux. Quand le personnage de Carl Webster enquête sur Belmont et les membres de son gang, qui sont pour la plupart d’anciens prolétaires dégoûtés du forage pétrolier, c’est tout un environnement, hors-la-loi mais très règlementé, qu’il découvre et nous donne ainsi à voir. Autour de 1930, c’est aussi l’époque de la prohibition, et si le gouvernement a blindé son code pénal de multiples Acts restrictifs, personne n’est dupe et l’alcool coule à flots dans tous les speakeasies, ces bars clandestins improvisés que l’on peut trouver presque à chaque coin de rue. À la campagne, ce sont de petites bicoques le long de routes isolées, des relais, qui offrent ce genre de services, agrémentés de quelques petits plus proposés par les hôtesses… Les Crystal, Heidi, Louly, Kitty; femmes de petite vertu, au caractère bien trempé, “poules de truands” pour certaines, et héroïnes attachantes du roman, dont s’éprendront autant Carl que Jack, et qui leur feront bien vite tourner la tête, et même tourner en bourrique parfois. Pour enrichir le vaste tableau composé par l’auteur, on peut compter sur l’œil avisé de Elmore Leonard pour les petits détails, et son bon goût pour les petites références culturelles heureusement amenées: Les bagnoles sont bien sûr les belles De Soto et Cadillac de l’époque; on dégomme ce qu’on peut à la mitraillette Thompson; on écoute Count Basie, Lester Young, Rudy Vallée, Julia Lee dans les clubs ou dans un phonographe. On va au cinéma découvrir Manhattan Melodrama, ce même film qui sera le dernier qu’aura vu John Dillinger.

dillingerJohn Dillinger (photographe, lieu et date encore inconnus de moi)

En résumé, vraiment un excellent roman noir! qui sait prendre tour à tour des airs de policier hard-boiled, et de western, ou post-western; ample, descriptif sans prendre de longueur, et qui donne aussi la part belle à de grandes scènes d’action, de fusillades et de courses-poursuite. Très visuel, avec des plans et des dialogues parfois presque cinématographiques, Le Kid de l’Oklahoma aurait de grandes chances d’être aussi un très bon film. En attendant les éditions Rivages et Casterman en préparent une bande-dessinée, à découvrir à la rentrée, je m’en réjouis bien! C’était en fait la première fois que je lisais un roman d’Elmore Leonard (1925-2013), que j’ai longtemps bêtement confondu avec Donald Westlake… (pourquoi?) Mais je suis sûr que ce ne sera pas le dernier, je vais me plonger au plus vite dans sa bibliographie. Quel écrivain efficace, magique, capable de recréer un monde que l’on croyait disparu en seulement quelques lignes, tellement fidèle aux codes qu’il peut jouer avec et les détourner parfois, et qui semble avoir abordé dans son œuvres certains de ces univers que j’admire et dont je rêve. En tout cas très heureux d’avoir découvert cet auteur avec ce livre, que je conseille ardemment à tous, c’est un régal.

***Mugshots découverts sur le site awesome-robo.com, portraits de “criminels”… australiens des années 1920; superbes photos d’une qualité remarquable!

“Le kid de l’Oklahoma” (The Hot Kid – 2005)

Elmore Leonard / Editions Rivages, 2008; Editions Rivages noir poche, 2014

Rudy Vallée – You’re driving me crazy… Conseillée par Elmore Leonard! Superbe chanson, qui semble tellement lustrée par le temps, malaxée et transformée, qu’on y ressent presque un écho constant. Et dans cet interstice, dans ce petit décalage, ce petit spectre aux allures de fantôme, n’y aurait-il pas moyen de se glisser? Et de voir peut-être qui dansait, il y a si longtemps, sur du Rudy Vallée, en ce temps si lointain alors que c’était hier?

La dernière frontière, de Howard Fast

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Dog Soldiers

“-Je ne sais pas. Ils voulaient rentrer chez eux. Je crois qu’ils ne demandaient pas autre chose.”

En 1878, les dernières tribus indiennes établies aux alentours des Black Hills, le long de la Powder River ou de la Platte River avaient toutes été vaincues. On avait tué le grand guerrier Crazy Horse, d’une lame vengeresse traversant sa Chemise sacrée. Le saint-homme Lakota Sitting Bull avait pris le chemin de l’exil, accompagné de quelques uns des siens, jusqu’en le long et glacial vide du Saskatchewan, Canada. Les survivants capturés et mis à genoux, les Red Cloud, les American Horse, les membres de leurs nations Cheyennes, Arapahoes, Lakotas Oglalas, avaient été emmenés au loin, à marche forcée, et les peuples déchirés disséminés vers quelques bandes de terres ingrates à travers tout le pays. Dans un effort de paix voulu par le gouvernement, on les leur offrirait, ces terres maigres, à condition qu’ils y restent, parqués dans les nouvelles réserves. L’Oklahoma n’était pas encore un état, mais ses bordures servaient à définir un de ces territoires indiens, là où convergeaient et étaient réunies en masses diverses ethnies captives, qui ne se définissaient parfois entre elles que par l’opposition que toutes exerçaient entre Peaux-Rouges et Blancs. Les sols arides et impropres à l’agriculture, le gibier inexistant, les insuffisantes rations promises par le Bureau des affaires indiennes, la cohabitation chaotique dans des “villages” en ruine. Les maladies. La faiblesse. L’ennui, la tristesse infinie. Le dénuement total. C’est ainsi, sous ce ciel de ténèbres de l’histoire, que s’ouvre La dernière frontière de Howard Fast.

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le partage des rations dans une réserve (Denver Public Library)

Darlington, petit bled au cœur du territoire indien qui deviendra l’Oklahoma, contrôlé par le Bureau des affaires indiennes. Le jour où l’agent Miles apprend que trois guerriers Cheyennes auraient quitté la réserve pour partir vers le nord, et puis que finalement c’est tout un village de 300 âmes, dont il a la garde, qui a mystérieusement disparu, semble-t-il pour retourner sur leurs terres spoliées des Black Hills, il prend peur et alerte l’armée. Le régiment du capitaine Murray est envoyé à leur poursuite, les fuyards ne peuvent pas être partis bien loin. On les signale pourtant déjà dans la vaste Prairie du Kansas. Guidés par leurs chefs Little Wolf et Dull Knife, les hommes ont repris les armes, ainsi que les oripeaux de ce qu’étaient leurs titres de combattants: les Dog Soldiers, les grands guerriers Cheyennes, sont à nouveau libres et hantent les grandes plaines. Le temps que Murray et ses hommes parviennent à remonter la piste laissée par les Indiens, c’est un vent de folie qui a déferlé sur les villes et les ranchs alentour; alimentée par un mélange de terreur et de haine, l’hystérie a gagné toute la région. Alors que des milices de volontaires se forment et partent au galop afin de tenter de freiner l’avancée de ces indésirables sauvages sur leurs terres, l’affaire remonte jusqu’aux bureaux des généraux, qui enverront bientôt toutes les forces possibles pour faire face à cette poignée de Cheyennes: plus de 13’000 soldats contre ces quelques familles, femmes et enfants accompagnés de quelques hommes. Ils restent pourtant insaisissables, parvenant à repousser les attaques avant de disparaitre à nouveau dans ces étendues désertiques, suivant un obscur tracé qu’eux seuls semblent connaitre. La frontière pourtant verrouillée du Nebraska est traversée, et ce n’est qu’une fois là-bas, à quelques 1’000 kilomètres de leur point de départ, que les Indiens menés par le chef Dull Knife sont rattrapés. Ils ne sont plus qu’une centaine, les autres ayant choisi de suivre Little Wolf sont peut-être déjà parvenus jusqu’aux Black Hills. Pour ceux qui ont été capturés, et qui refusent le retour forcé dans la réserve, l’épreuve ne fait que commencer.

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Les chefs Little Wolf et Dull Knife

La dernière frontière, c’est peut-être ce dernier soubresaut d’une nation écrasée avant que le processus de Termination ne soit exécuté. C’est peut-être  la dernière volonté d’un peuple de retrouver sa liberté, et ce qu’il faut traverser c’est un pays que l’on ne reconnait déjà plus. Les vainqueurs sont partout; les chemins de fer et les routes quadrillent les grandes plaines, les villes et les ranchs abolissent la nature, le télégraphe parachève l’œuvre d’unité, et l’emprise des Blancs sur tout le continent. Que 300 Cheyennes en fuite aient pu remonter si loin dans le nord, face à tant d’obstacles, face à tant d’assaillants, c’est déjà quelque chose d’inouï. Mais le plus fort dans cette histoire réside dans l’idée entretenue de traverser cette frontière impossible, dans la foi inébranlable qu’au-delà de ce monde qui les a rejeté se trouve la liberté, une sorte de salut. Ils sont “déjà morts”, et veulent rentrer chez eux; c’est ce qu’ils disent lors des rares trêves et négociations. Howard Fast ne focalise pourtant jamais le récit sur les Indiens, qui se retrouvent bien vite être des ombres, des fantômes presque; l’idée qu’ils représentent une terrifiante et envoûtante différence, et puis une abstraction incongrue dans le système politique et militaire de l’époque, un rouage défaillant dans la gigantesque machine mise en branle pour asseoir l’empire naissant. C’est pour beaucoup cela qui est fascinant à la lecture de ce roman très référencé: au fur et à mesure que “l’affaire” prend de l’ampleur, nous remontons lentement chaque échelon de la hiérarchie, jusqu’à atteindre les sommets de la bureaucratie; alors la tragédie humaine ne devient plus que la note d’un ordre d’éradication. Il n’y a d’ailleurs aucun personnage principal auquel se rattacher; si l’on rencontre au fil des pages quelques figures historiques, comme le général Sherman ou Wyatt Earp, ou si l’on suit pour quelques chapitres un capitaine, un colonel, aucun ne pourra témoigner en son entier de l’ampleur d’une si vaste fresque.

Inspiré d’évènements authentiques, fidèle au récit qu’il exploite, La dernière frontière est un de ces grands romans que l’on n’oubliera pas, un des meilleurs que j’ai pu lire sur ce que l’on appelle “la question indienne”. Il est d’ailleurs très proche du grand, noble et terrible livre documentaire Enterre mon cœur à Wounded Knee, qui reprend la même histoire en l’un de ses chapitres. Le livre de Howard Fast, sous la forme de la fiction, propose autant de réponses sur le drame qu’il n’amène de questions sur la violence normalisée émanant des vainqueurs, ou des belligérants de n’importe quelle conquête. Écrit pendant la Seconde Guerre mondiale, revenant sur ce passage précis, peut-être maintenant obscur, du passé de la plus grande démocratie au monde, transformant le western vu comme folklorique en drame universel, c’est un de ces ouvrages plein de bruits et de fureur que nous tenons fébrilement entre les mains, et c’est aussi une véritable épopée captivante. Un grand classique moderne, que j’encourage de tout cœur à découvrir ou à redécouvrir, dans sa nouvelle traduction proposée par les éditions Gallmeister.

“La dernière frontière” (The last frontier – 1941)

Howard Fast / Editions Gallmeister, Totem poche, 2014

Sixteen Horsepower – Heel on the shovel (1996) –

I’m diggin’ you a shallow grave
An to the sun your face I’ll raise
I’m diggin’ you a shallow grave
One hundred buzzards buzzin’

Speed Queen, de Stewart O’Nan

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Faster, Pussycat! Kill! Kill!

Quartier des condamnés à mort d’une prison d’Oklahoma, fin des années 80. À quelques heures de son exécution, Marjorie s’enregistre sur des cassettes audio; l’écrivain Stephen King, qui souhaite transposer en roman la vie et le parcours de la jeune femme, lui a fait parvenir une série de 114 questions, auxquelles elle s’applique à répondre méthodiquement. Elle remontera ainsi le fil d’une existence terne et misérable, jusqu’à la rencontre explosive avec l’amour de sa vie, qui l’emmènera, à tombeau ouvert, sur des routes sauvages qu’ils baigneront de sang. Le rendez-vous avec la mort approche, la salle d’injection létale est préparée; guidés par l’unique voix de Marjorie, nous assistons bientôt aux dernières confessions d’une tueuse en série que la passion de la vitesse, dans tous les sens du terme, aura envoyé droit dans le mur.

“C’était ça mon surnom dans les journaux – Speed Queen, la Reine du Speed. J’ai toujours été un peu plus vite que le reste du monde. C’est sans doute pour ça que je suis ici, d’ailleurs. (…) Quand je me défonçais, je n’avais pas besoin de manger ni dormir ni rien, juste de monter dans cette Roadrunner et foncer. (…) Je crois que j’ai toujours su que je me faderais un mur quelconque. C’est comme ce film Point limite zéro, le type qui dépote à fond la caisse dans le désert au volant de sa grosse vieille Challenger, avec Cleavon Little sur la radio. À la fin, il percute la lame de ce bulldozer et la voiture s’arrache en flammes, rien que des petits bouts de carrosserie qui retombent au ralenti comme de la neige. C’est le genre de vie que je voulais à cette époque. Et je suppose que j’y ai eu droit, pas vrai?”

Marjorie a grandi dans la campagne des alentours d’Oklahoma City. Enfance et adolescence médiocres, sans éclats. À 20 ans, enfuie de chez ses parents et  débarquée en ville, elle vivote de petits jobs dans des chaînes de fast-foods, et nourrit son alcoolisme précoce de bouteilles de champale fauchées. Un jour, elle rencontre Lamont, jeune homme passionné de muscle-cars (voitures américaines tunées): c’est le grand amour. Fusion charnelle, passion, et plaisir de l’évasion; ensemble ils prennent la route pour de longues errances, et quand ils ne sont pas partis dans la Roadrunner de Lamont, celui-ci initie Marjorie à d’autres formes de trips: cocaïne, héroïne. Quand cette dernière se retrouve enceinte, on cessera pour quelque temps certains abus. Et puis le petit Gainey vient sceller cette nouvelle famille; à ce moment-là on reprend les habitudes. Arrêtée pour possession de drogue, Marjorie rencontre en prison Nathalie; elle deviendra son amante, et elle lui proposera de l’héberger à leur sortie. Les deux filles, ayant purgé leur peine, retrouvent bientôt Lamont et le bébé. Il faudra du cash pour faire tourner la maison, et ils ont un plan pour un gros deal de came. Qui bien sûr se passera mal; les créanciers véreux avec lesquels ils voulaient trafiquer sont à leurs trousses, alors on embarque cette maudite troupe dans la bagnole et direction plein Ouest; avec le flingue de Lamont on pourra toujours braquer quelques stations-service, et s’en aller toujours plus loin. Bientôt les moyens, quand on aura pressé la détente, deviennent “par tous les moyens”; bientôt la ligne de bitume qui poursuit l’horizon se transforme en une trainée de sang. Et les cadavres de s’accumuler en bordure de la piste de cette équipée sauvage que l’on appelle maintenant le gang des Sonic Killers.

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Natural Born Killers (Oliver Stone, 1994)

Tout va très vite dans ce roman; le huis-clos de la cellule de Marjorie est bientôt effacé par la passion des routes, de la vitesse, qui anime chaque page. L’activité préférée de la condamnée, depuis sa prison, est d’ouvrir son road-atlas des États-Unis et de se laisser porter par les tracés des cartographes; ainsi est-ce pour elle un ultime moyen d’évasion. Faster, Pussycat, c’est aussi une façon pour nous, lecteurs, de décrocher un peu de la dureté du récit, de l’implacable et radicale narration présentée, en parcourant ces routes mentales avec elle. Ce tourbillon qui a emporté sa vie, dans une spirale de violence jusqu’au point de non-retour, c’est cette exacte façon de foncer les yeux fermés et en ayant lâché le volant, voici ce qui nous est présenté. Ce n’est pas être victime de la fatalité, c’est plutôt avoir renoncé à un quelconque contrôle de sa destinée. Dans l’univers de Marjorie, que l’on peut comparer à ce que l’on nous présente comme la culture “white trash” urbaine, les seuls éléments de savoir ou de connaissances présentés sont liés soit aux fast-cars, soit au fast-food. L’héroïne use d’un vocabulaire d’experte quand elle parle de Reddi Wip, de Tatter Tot, de Dogdish Hubcaps ou autres, si bien que l’éditeur français a jugé bon d’inclure un glossaire des mots employés en fin d’ouvrage. C’est ainsi dire tout ce qu’elle semble vraiment connaitre du monde, les bagnoles et la bouffe de la rue; et c’est si bien parsemé dans le texte, le monde étant cerné de ces seules balises, que l’on s’y sent parfaitement prisonniers, captifs consentants. Il est difficile d’accompagner cette femme dans ses dernières heures, mais il est dur aussi d’écouter le récit de sa vie. Le sentiment d’empathie de l’auteur pour son personnage y est, je trouve, grandement présent; même si rien ne justifie les actes de sa vie, il en ressort une sorte de noblesse dans ce récit d’un désastre; une confession qui n’excusera jamais les actes, mais qui la rachètera peut-être un peu, en tout cas aux yeux de son fils quand il sera en âge de comprendre, car c’est sa motivation principale. On ne sait pas si Stephen King écrira ce roman, mais la mise en abîme par la littérature est pour nous un joli clin d’œil.

Une construction habile reposant sur les questions de King à l’héroïne; un roman sombre et sans espoir décrivant l’âme incarcérée en fin de parcours autant que la vie extérieure tout autant empoisonnante, avec de grandes échappées sur les routes de l’état de l’Oklahoma, et jusqu’au Nouveau-Mexique; hommage à la littérature noire et à une certaine veine tragique que l’on retrouve chez Stephen King (dont le livre est dédié), ainsi qu’à la passion des muscle-cars; proche par moments de nos souvenirs cinématographiques (Natural born Killers; Faster, Pussycat! Kill! Kill!) et de la culture populaire; c’est vraiment un roman impeccable à nous faire rester éveillé toute la nuit, comme avec un Shining, incapables que nous sommes de le lâcher. Stewart O’Nan est un de ces grands écrivains qui peut marier tout cela, et en faire une superbe pépite du plus noir effet tel ce petit chef-d’œuvre qu’est son Speed Queen. A découvrir de toute urgence.

“Speed Queen” / (The Speed Queen – 1997)

Stewart O’Nan / Editions de L’Olivier, 1998; Editions Points Seuil poche, 1999

Ty Segall: The Keepers (2013): Let the sleepers dream so fine. Autoradio du Roadrunner, direction eastbound. And down, down.